Les Rats

Couverture du livre Les Rats
Delachaux et Niestlé
Sentiers du naturaliste
2006

Rat d'égout, rat dégoût… Le rat nous inspire une aversion profonde. Cet éternel hors la loi du monde animal nous répugne, nous donne la nausée. Il incarne nos pulsions les plus violentes, les plus refoulées, celles qu'on ne peut décidément pas « avaler ». Pour la plupart d'entre nous, les rats sont un cauchemar. On abhorre tout ce qui fait du rat un rat, sans exception ni concession : son œil nécessairement mauvais, sa queue toujours trop longue, ses dents trop pointues, ses yeux trop rouges, sa morsure contagieuse… Mais on ne peut que reconnaître son intelligence et ses facultés d'adaptation. Là se situe l'ambivalence, face à des êtres aussi minuscules qu'insaisissables, aussi détestables que fascinants. Toujours chassés, jamais rattrapés, rien ne semble en mesure de les empêcher de prendre possession du monde, lorsqu'ils l'auront décidé !

Introduction

Vibrisses en alerte, dents affûtées et nez au vent. Coussinets ciselés aux allures d’idéogrammes chinois. Port de tête exemplaire, souple rigidité. Regard uniformément noir. Longue queue annelée, rose ou gris perle, traînant par terre, traçant un fin sillage dans la poussière, une imperceptible cicatrice sèche en terre humide. Le rat brille dans l'ombre par sa présence active, discrète, patiente. Rat à l’affût du moindre mystère. Tache sombre dans les plus pures pensées humaines. Une de ces taches qui gênent, que l’on voudrait gratter, si minuscule soit elle. On gratte, mais rien ne disparaît. Et à trop gratter... c’est la blancheur que l’on écaille, et la petite tache que l’on agrandit... Impossible d’effacer l’impertinente présence. Aussi préfère-t-on souvent composer avec elle, et parler du rat. En littérature, le sujet dépasse largement les proportions biologiques du petit rongeur. « J’écrirai vingt volumes sur le rat, si on me laissait faire ; car il n’est pas de sujet plus riche à traiter que le rat, celui de Paris surtout », écrivait Toussenel dans l’Esprit des bêtes en 1958. Rats de Halles, fins stratèges et politiciens éclairés, rats de métro, peuple austère et guerrier, rats de cave, rats du Quartier Latin et autres rongeurs de bibliothèques : les rats s'affichent en cortèges inquiétants. Dictionnaires et encyclopédies animalières en font des portraits laconiques et austères, les dépeignant comme des nuisibles redoutables, parasites privilégiés de l’homme au même titre qu’un grand nombre de rongeurs. Le mot « Rat », assez tardif, est d’origine obscure. On le dit issu du bas breton ract ou raz, onomatopée rappelant le bruit de l’animal qui ronge, gratte, grignote. Il dérive de radere, « gratter, ronger », et de raditare, « qui ronge ». Un grand nombre d’expressions métaphoriques se sont formées sur le mot « Rat ». Tout un vocabulaire y est apparenté : razzia, racler, râper, rapt, râteau, racket, ravager... Autant de mots à connotations peu engageantes qui actualisent à chaque instant l’image du rat nuisible et dangereux pour l’homme. On force le trait morphologique de la denture ; quatre grandes incisives à croissance continue. On vante l’étendue des multiples "raids" alimentaires ; dommages, pillages et gaspillages. Le rat souille les denrées de ses excréments, détériore et ronge les matériaux, pénètre dans les maisons, utilisant leurs points faibles, les espaces non clos, les failles et fissures béantes ou à peines esquissées, se nourrissant de déchets et d’ordures. On accentue à plaisir son goût du noir et des chambres obscures. Le rat trouve refuge dans les appartements, les greniers, les plinthes, les resserres, placards, combles. Sous les planches, sous les toits, sous les villes... Le rat reste dans l'ombre, actif surtout à la nuit noire, ne se risquant jamais en terrain découvert, rasant les murs et les trottoirs. Il est cette petite tache sombre qui focalise nos angoisses, cet Autre qui nous ressemble comme un frère. Car ce qui nous fait le plus peur est aussi, bien souvent, ce qui nous ressemble le plus ! Partout, le rat nous accompagne et marche dans nos pas, avec la même intelligence, la même faculté d'adaptation. On compte au moins un rat par habitant dans le monde, qui ronge le grain dans les greniers, les fruits dans les cuisines, la laine, le tissu, les meubles dans les chambres. Les rats percent le bois, font des trous dans les murs, se logent sous les planchers, exploitant le moindre creux, le moindre vide.

Entre rats - Adaptation collective à l’environnement

Dans un groupe, des « goûteurs » sont désignés pour tester la toxicité d’une denrée avant le reste du groupe. Si le goûteur est pris de convulsions, personne ne touche à la nourriture, si attirante soit-elle. Cette ingénieuse stratégie rend inopérants les poisons à action rapide. En cas d’empoisonnement massif, beaucoup de rats meurent, mais certains membres de la colonie développent un gène résistant aux anticoagulants. Ces « super rats » survivants transmettent ce gène à leurs descendants, qui vont renouveler les effectifs du groupe.

Si les conditions sont difficiles (manque de nourriture ou d’espace), les femelles réduisent instinctivement leur rythme de reproduction. Stressées, elles sont frappées de stérilité. De leur côté, les mâles dominés partent en quête de quelque chose à manger. S’ils trouvent une nourriture inaccessible, immergée par exemple, ce sont eux qui plongent pour la ramener aux dominants. Sans amélioration de la situation, les jeunes mâles sont chassés de la colonie. Ces « bannis » partent en quête d’un nouveau territoire ou errent aux portes de la cité, marginaux en proie à la dépression. Le reste de la colonie, rongée par le stress, s’avère plus vulnérable aux maladies. Lorsque la surpopulation menace la cohésion du groupe, les combats sanglants se multiplient, et l’ensemble de ces facteurs associés conduisent à une forme d’autodestruction du groupe.

Mais l’avenir des rats n’est pas menacé. Car ils font aussi partie des rares animaux capables de survivre à des situations extrêmes, notamment aux radiations radioactives. Lors des tests nucléaires dans le Pacifique, les rats des atolls ont non seulement survécu mais se sont reproduits !

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